Dynamique collective et pensée critique : deux compétences complémentaires à valoriser
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Consultante, formatrice et conférencière, fondatrice de Vecdas Conseil et auteure du livre Orchestrer l’intelligence collective (Pearson), Charlotte du Payrat accompagne les entreprises dans le changement afin de renforcer leur dynamique collective via un accompagnement des dirigeant·e·s, des manager·euse·s et du coaching d'équipe. Dans cet article, elle met en lumière un paradoxe : la pensée critique et la culture de la coopération sont des compétences essentielles pour l'avenir, pourtant, elles sont largement sous investies. Compétences différentes, étonnamment elles se rejoignent sur leurs ressorts et aussi sur les obstacles qui freinent leur déploiement.
Deux domaines de compétences stratégiques pour l’avenir
Parmi les 10 compétences essentielles pour les années à venir, il y a la « pensée critique », ainsi que le « management », le « travail en équipe », le « leadership et la « prise de décision » qui font partie de la culture de la coopération.
À priori, la pensée critique pourrait sembler éloignée de la culture de la coopération3. L'une s'intéresse en priorité au raisonnement, l'autre aux êtres humains. Or, confronter ces deux domaines révèle beaucoup plus de points communs que nous ne pourrions l'imaginer.
Compétences d’avenir, toutes deux peinent à faire entendre leur valeur ajoutée tant elles sont sujettes à des raccourcis, à des schémas mentaux simplificateurs et même simplistes… Ainsi réduites, il est fréquent d’avoir l’illusion de les traiter en profondeur alors que finalement on ne s’intéresse à elles qu’en surface, sous exploitant leur potentiel.
Au-delà des raccourcis, des compétences riches et utiles
Allons au-delà des raccourcis ou des schémas mentaux simpliste. Pour cela, explicitons-les.
- La culture de la coopération : ce n'est ni être en permanence dans une approbation aveugle, ni chercher un consensus mou, ni occulter les réalités dérangeantes, ni cultiver un enthousiasme inconditionnel. La culture de la coopération demande au contraire une grande rigueur et de l’autorité. En cela, elle rejoint les exigences de la pensée critique.
- La pensée critique : faire preuve de pensée critique, ce n'est ni être une personnalité rebelle, ni un·e « empêcheur·euse de tourner en rond », ni une personne « critique » qui nourrirait un besoin de reconnaissance par des critiques gratuites, ni l’expression d’un manque de respect à l’autorité. Au contraire, la pensée critique demande de la considération et de l'intérêt pour autrui ainsi que le respect d’un cadre. En cela, elle rejoint les exigences de la culture de la coopération.
Ces compétences, souvent considérées comme simples, se révèlent, lorsque nous creusons, d’une grande complexité, jouant de la multi-factorialité, des imbrications multiples, et impliquant donc une expertise.
Des compétences aux ressorts semblables
Confronter la culture de la coopération à la pensée critique met en lumière de nombreux ressorts partagés, dont quelques-uns listés ci-dessous.
- L'importance donnée à la finalité vers laquelle nous cherchons à tendre en ayant conscience qu’il est illusoire de l’atteindre pleinement.
- Dans la pensée critique, la finalité est d'être le·la plus juste et nuancé·e possible dans son analyse.
- Dans la culture de la coopération, tendre vers une finalité partagée (et éthique) permet de donner un sens au travail commun.
- La recherche d’une pluralité d'opinions pour oser remettre en question ce que l’on pense et s’enrichir de la pensée de l’autre.
- Dans la pensée critique, le croisement d'opinions diverses et la confrontation des idées permet d’affiner un raisonnement en reconnaissant ce qui nous parait juste dans la pensée de l’autre.
- Dans la culture de la coopération, le débat et le dialogue permettent de prendre conscience de ses propres biais cognitifs, puis de faire évoluer sa pensée afin de regarder le monde avec des lunettes plus nettes.
- L’ouverture pour oser observer le monde avec un regard neuf.
- Dans la pensée critique, pour chercher à adopter un regard le plus objectif possible, il est essentiel de croiser des sources considérées chacune avec un regard neuf, tout en vérifiant scrupuleusement les éléments.
- Dans la culture de la coopération, un·e manager·euse cherche à avoir une vision et une analyse, la plus subtile, nuancée et riche possible, à faire la part des choses. Pour cela, il·elle ose porter un regard neuf sur les choses.
- Le fait de questionner des influences, comme la pensée de groupe et la soumission à l’autorité, et d'autoriser une certaine liberté d'expression. Nous avons souvent tendance à sous-estimer le biais d’autorité du·de la manager·euse ou la pression du groupe dans la construction des raisonnements.
- Dans la pensée critique, il est important de questionner la manière dont une pensée s'est construite, de rester vigilant face aux risques d’une pensée de groupe.
- Dans la culture de la coopération, le·la manager·euse reste à l'écoute de ce que pense son équipe. Pour cela, il·elle veille à ce que ses collaborateur·rice·s ne s’enferment pas dans une soumission aveugle à son autorité. Même s’il reste celui·celle qui tranche et décide, cela ouvre le dialogue sur les choix qu’il·elle effectue. Cette position courageuse a cependant un bénéfice important : lui permettre de prendre des décisions plus éclairées.
Des compétences à travailler…
Que ce soit dans la culture de la coopération ou la pensée critique, nous retrouvons des ressorts semblables : l’importance de la finalité, le souci de l'autre, le courage d’une remise en question, une liberté dans le dialogue.
En somme, ces compétences impliquent que chacun·e s’intéresse à l’autre et à sa différence. Or, est-ce aisé de se mettre à la place des autres pour mieux comprendre une situation ? Ne sommes-nous pas parfois tenté·e·s d’interpréter, de préjuger à partir de nos propres manières de voir ? Ces compétences se travaillent et des outils aident en cela :
Le Watson-Glaser™ III, outil d’évaluation de la pensée critique, est particulièrement adapté au contexte actuel pour faire face à l’incertitude et la complexité d’un environnement changeant qui rend les décisions difficiles. En particulier, cet outil permet d’apprendre à éprouver ses raisonnements pour les rendre plus solides et travailler son esprit critique.
… pourtant faiblement priorisées
Le développement de la culture de la coopération et de la pensée critique, régulièrement évoquées comme des compétences essentielles pour l’avenir, est paradoxalement freiné par des obstacles communs :
- Leur richesse est souvent peu perceptible et donc peu prise en compte,
- Elles sont peu priorisées.
En quoi leur richesse est-elle peu prise en compte ? Soutenons-nous suffisamment la culture de la coopération et la pensée critique ? Suffit-il, par exemple, d’effectuer deux séminaires par an pour travailler sa culture de la coopération ? La pensée critique est-elle considérée comme une compétence à travailler quotidiennement au même titre que la communication, lors d’un CODIR ou d’une décision managériale ? Laisse-t-on suffisamment la place au doute et au dialogue quand les décisions s’enchaînent ?
En quoi sont-elles peu priorisées ? Dans une société qui favorise le court terme, ces compétences pâtissent d’un manque d’espace de réflexion. Dans une société qui favorise l’opérationnel, ces compétences cherchent à appréhender une complexité qui parait souvent secondaire : la réflexion mais aussi la subtilité, la nuance, la psychologie humaine. Ces compétences demandent par ailleurs un certain courage : celui de préférer un doute raisonnable à une certitude aveugle. Or, c’est aussi oublié le risque, plus grand encore, qui consiste à s’enfermer dans des certitudes rassurantes sans les questionner. En effet, comme le rappelle Camus « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ».
En synthèse, pour mieux éprouver un raisonnement ou « faire collectif », les entreprises ont tout intérêt à porter concrètement leur regard sur ces compétences de pensée critique et de culture de la coopération et à leur laisser une place de choix dans les compétences essentielles à évaluer en recrutement chez leurs candidat·e·s et à développer une fois en poste chez leurs collaborateur·rice·s. Dans un monde incertain et complexe, ces compétences stratégiques permettront aux entreprises d'être actrices de leur avenir collectif.