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  • Comment se préserver d’un climat de travail toxique et s’assurer du bien-être de vos collaborateurs ?

    Après avoir pris le soin de bien définir ce qu’on entendait par « climat de travail » et ce qui pouvait le rendre « toxique », Marc Mezaltarim, Psychologue du Travail et Responsable Grands Comptes chez Pearson TalentLens donne de précieux conseils pour éviter un climat de travail hostile en entreprise et développer le bien-être des collaborateurs et, à travers lui, la performance individuelle et collective.

    Comme l’évoque Marie-Pierre FEUVRIER dans un article paru en 2014, travail et bonheur ont longtemps été dissociés, étant même jugés incompatibles par la philosophie antique. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la littérature a commencé à les rapprocher. Pour arriver dans les années 2000 à l’obligation dictée aux DRH par le ministère du Travail (rapport Lachmann-Larose-Pénicaud de 2010), de prendre en compte le bien-être et la santé mentale des salariés, au-delà d’une simple gestion du stress. Cela passe notamment par les Négociations Annuelles Obligatoires des entreprises (NAO) qui incluent la Qualité de Vie et les Conditions de Travail (QVCT).

    Un autre rapport rendu par la commission Stiglitz- Sen- Fitoussi en 2009 parle lui du bonheur comme une piste à exploiter, au-delà du PIB, comme indicateur de la performance économique et du progrès social. Pourtant, ainsi que l’expose Nathalie Bernard, alors doctorante, certains dirigeants d’entreprise ont encore du mal à lier performance et bien-être, et conditionnent, quand ils le prennent en considération, le second à la réalisation de la première. Il reste donc du chemin à parcourir !

    Un climat de travail toxique va bien au-delà d’une mauvaise ambiance de travail

    Avant d’évoquer ce qu’est un climat de travail toxique, il paraît opportun de rappeler ce qui détermine le climat de travail. Dans la définition qu’en fait G. Leblanc dans une étude parue en 2004, le climat de travail intègre : l’autonomie dans la réalisation de ses tâches, la possibilité de s’épanouir au travail, la reconnaissance et les encouragements dont bénéficie l’individu, les relations interpersonnelles, le cadre de travail. Cela va bien au-delà de la simple ambiance de travail. Bien entendu, le climat de travail peut découler de la culture d’entreprise, du sentiment de justice ou non que l’organisation génère auprès des salariés à travers sa politique et ses pratiques, des ressources et conditions de travail mises à la disposition de ces derniers dans le cadre de leur activité.  Des auteurs comme Kamp et Brooks (1991) ont démontré que le climat de travail a une incidence sur les comportements contre-productifs : absentéisme, perte de productivité, erreurs volontaires, désengagement, vol, agressivité… Se sentir exploité, comme l’indiquent les auteurs Clark et Hollinger, porte davantage les salariés à adopter des comportements nuisibles.

    Les facteurs conjugués d’un climat de travail toxique 

    La privation de liberté d’action, le contrôle à l’excès, l’incapacité à s’épanouir, une surcharge régulière de travail ou au contraire un poste vidé de son contenu, l’absence de feedback sur son travail ou un feedback systématiquement négatif, l’absence de relations interpersonnelles ou des relations de travail délétères (harcèlement, moqueries, dénigrement), un cadre de vie au travail hostile (bruit, éclairage, isolement forcé...) peuvent être source de stress et de mal-être, voire engendrer des comportements contre-productifs.

    Nous voyons bien au demeurant que ces situations ont pour origine des comportements humains et que le management y joue une part prépondérante.  C’est pourquoi des études ont été menées et des tests de personnalité élaborés pour tenter d’identifier les personnalités potentiellement nocives. Il apparaît ainsi que l’agréabilité (la capacité à avoir de bonnes relations aux autres) et l’esprit consciencieux dans le travail (deux dimensions issues du modèle des « Big Five ») induisent moins de comportements contre-productifs que leur contraire. À contrario le narcissisme apparaît comme une variable notoire d’altération du climat de travail. De même que certains comportements rigides et répétés qui révèlent des tendances dysfonctionnelles. L’éthique personnelle a aussi une influence sur les comportements déviants au travail. 

    Développer le bien-être des collaborateurs et leur performance 

    Pour éviter un climat de travail hostile et développer le bien-être des collaborateurs et à travers lui la performance (des études ont démontré leur corrélation), les critères sont nombreux. En voici une liste non exhaustive.

    Cela passe déjà par le recrutement et l’évaluation ; pour identifier et éviter de placer à des postes des personnes qui vont avoir une influence négative sur l’organisation et les équipes. S’entourer de personnes honnêtes et bienveillantes est un bon garde-fou contre les comportements antisociaux au travail.

    L’entreprise et le management ont aussi un rôle crucial à jouer. En affichant clairement la culture d’entreprise, en donnant du sens au travail, en faisant preuve d’exemplarité à tous les niveaux de l’organisation, en offrant à chaque salarié autonomie, prise d’initiative et de décision, capacité à développer ses compétences à travers notamment la formation. En cultivant la pratique du feedback, en valorisant et encourageant chacun, les salariés se sentiront mieux et seront moins enclins à adopter des comportements déviants, à commencer par l’absentéisme. Les règles doivent être affichées et connues de tous et chaque manager doit veiller à ce que son équipe travaille dans de bonnes conditions et ait les moyens de bien faire son travail.  Le management doit être attentif à tous ces aspects évoqués, lui qui a un rôle prépondérant dans le maintien de la motivation et de la satisfaction au travail des équipes. Être exemplaire, donner du sens au travail, pratiquer un management équitable, faire vivre au quotidien les valeurs de l’entreprise, animer l’équipe sans exclure personne, sont des critères clés pour assurer bien-être et épanouissement dans le travail.

    Si le management n’est pas seul responsable du climat de travail et des comportements contre-productifs associés, il est souvent critiqué dans la littérature qui s’y rapporte. Le manager doit lui-même être conscient de ce qu’il projette sur les autres et travailler si besoin à améliorer son image. Il ne doit pas hésiter à solliciter un feedback de son équipe sur ce qui va et ne va pas, pour progresser. Il doit aussi savoir réagir et ne pas laisser durer des comportements inadaptés. Et ce, en lien avec la DRH.

    Mais c’est aussi à chacun d’entre nous de réfléchir à ses propres comportements et à chercher à rassembler plutôt qu’à diviser. Quant à l’entreprise, elle peut aussi, dans le cadre des actions de cohésion d’équipe qu’elle entreprend, s’appuyer sur des individus positifs et moteurs, qui adhèrent aux valeurs de l’entreprise, partagent leur enthousiasme et distillent optimisme et bien-être autour d’eux. Car comme l’énonce la psychologie positive qui s’intéresse à la santé et au bien-être (à ce qui rend les humains résilients, heureux, optimistes), si des prédispositions génétiques au bonheur existent, il est aussi pour 40% la résultante d’une activité intentionnelle.

     

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  • Tensions au travail : ai-je affaire à une personnalité toxique ?

    Anne Litique est fondatrice de Oh ! Potentiel. Co-auteur du livre Médiation des conflits au travail (Pearson, 2021), elle travaille depuis plus de 20 ans à résoudre des situations professionnelles complexes et délicates, allant des difficultés de positionnement ou de relations non collaboratives jusqu’à des conflits avérés. Elle anime des formations sur les personnalités difficiles. Exemple concret à l’appui, elle nous met en garde contre l’avis parfois trop hâtif en entreprise de qualifier un collaborateur de « toxique ».

    Une réunion parmi tant d’autres 

    La dernière réunion animée par Catherine, responsable du service après-vente, restera dans les mémoires. Après avoir critiqué tous les projets présentés par ses collaborateurs et reproché à leurs rapporteurs leur manque de compétence, elle leur a asséné un interminable discours dont ils ont retenu qu’il « serait temps de se bouger les fesses », « d’ouvrir leurs chakras pour comprendre les enjeux du service » et « d’essayer d’être un peu créatifs, pour une fois ». Se levant brusquement, elle a conclu : « J’espère que vous vous rendez compte que je dois tout reprendre pour mon rendez-vous avec le Président, nuit blanche assurée, merci les gars ! ». Autour de la table, personne n’a osé répondre. On avait refermé les laptops et posé les stylos, on était pétrifié. La porte a claqué après son départ.

    Puis on a recommencé à reparler. « Pression », « speed », « pénible », « stress », « ras-le-bol » sont sortis. Et puis un autre mot : « toxique ». On s’est regardé : c’est vrai, Catherine diffuse depuis des mois un malaise qui met ses collaborateurs à cran, les infantilise et finit par leur faire perdre l’envie de venir au travail. 

    Pour autant, peut-on classer cette manager dans les « personnalités toxiques » ?

    Revenons quelques mois en arrière. Zoom sur le restaurant d’entreprise où Kamel et Sybille, managés par la même Catherine, à l’époque responsable d’une équipe aux achats, déjeunent. Ils sont heureux, ils vont bien. Sybille : « On a une chance folle d’être managés par Catherine, elle est cool et bienveillante. Elle a la pression, mais elle ne la répercute pas sur nous ». Kamel : « Grâce à elle, j’ai pu me former sur des aspects techniques de mon métier, et gagner en confiance en moi. Son exemple me donne envie d’être manager un jour, moi aussi ». Ils conviennent qu’il lui arrive d’être sous stress, de perdre un peu les pédales et de s’énerver. Mais elle en a conscience, sait s’excuser et revenir rapidement à un mode de fonctionnement serein.

    Alors, Catherine : toxique ou pas toxique ?

    Tout est question de contexte

    Catherine est sans aucun doute une personne engagée, volontaire, qui aime les résultats : oui, voyons tout d’abord ses forces et ses talents… que l’on perd de vue quand on la voit si tendue. Dans son équipe précédente où le contexte était clair, les enjeux partagés, les rôles et les attendus bien définis, elle pouvait se montrer attentive, collaborative, altruiste tout en atteignant les objectifs fixés.

    Lorsqu’elle a été nommée à l’après-vente, le service n’avait jamais été géré. Qui devait faire quoi ? On ne savait pas… Jusqu’où allaient les responsabilités des uns et des autres ? Aucune idée ! Que faisait-on quand Martine laissait sonner le téléphone pendant des heures ? Ou que Renaud laissait filer ses dossiers ? Rien. Quel était l’objectif commun ? Drôle de question… L’organisation était floue. Les collaborateurs n’étaient pas malheureux pour autant : ils faisaient leur job avec détachement, en s’impliquant au minimum. Si un client était mécontent, ce n’était pas la fin du monde. D’ailleurs, on en perdait de plus en plus… C’est ce qui avait fini par mettre hors de lui le responsable commercial, qui voyait s’envoler les clients que ses équipes avaient tant de mal à décrocher. Catherine avait été mandatée pour « remonter le service après-vente » : avec cette femme efficace et appréciée de ses équipes, l’objectif serait rapidement atteint.

    Mais, dans son parcours, Catherine n’avait jamais été confrontée à un tel flou : elle a vite constaté que tout lui glissait entre les mains, qu’elle ne s’en sortait pas. Ses recettes et sa manière de faire naturelles, ses talents n’ont plus suffi à rendre son équipe performante. Elle est entrée en stress, devenant de plus en plus inquiète pour elle-même, son équipe, les clients, et même pour l’entreprise. Et donc de plus en plus tendue. De plus en plus rigide et exigeante aussi (conséquence de son stress).

    Catherine n’est pas une personnalité toxique en tant que telle : c’est une personnalité sous stress.

    La satisfaction (ou non) des besoins fondamentaux : une clé pour bien travailler ensemble

    Elle a eu raison de vouloir mettre en place au sein de sa nouvelle équipe une certaine structure (préciser les objectifs, les rôles, les périmètres de chacun) et de la considération (après avoir reçu chacun en entretien individuel, elle leur a confié des projets sur lesquels ils seraient autonomes, pour avoir l’occasion de les valoriser et faire remonter leur motivation). Elle est perspicace et intuitive, car structure et reconnaissance sont les deux besoins les plus importants à satisfaire pour asseoir l’envie de collaborer. Le troisième – besoin d’action, de stimulation, et de créativité – est essentiel aussi … Dans une équipe démotivée où plus personne n’a envie de contribuer, il faut s’occuper des trois en même temps. 

    Mais il y a la manière ! Et le stress de Catherine ne l’aide pas à trouver un juste positionnement. Si elle venait nous voir, nous lui conseillerions de laisser plus de temps à l’équipe pour se transformer, et de travailler sur son mode relationnel (agressif, exigeant, rigide) afin que son équipe puisse vivre la transition de façon optimale. Nous regarderions avec elle comment redonner du sens aux choses, et valoriser les étapes déjà parcourues, avec sincérité et pédagogie, sans perdre le cap de vue. Sans doute arriverait-elle à embarquer ses équipes, qui ont besoin de temps et de soutien dans le changement.

    Alors, comment reconnaître une « personnalité toxique » ?

    Une personnalité toxique est une personne qui, de façon durable et automatique (involontaire, irréfléchie), vit et fait vivre aux autres des situations de tension extrême, se mettant et mettant par la même occasion les autres dans une impasse. Au travail comme dans les autres domaines, cela génère de la souffrance pour ses interlocuteurs, qui se sentent impuissants à fonctionner avec elle.

    Si Catherine était une personnalité toxique, nous saurions qu’elle ne va pas changer. C’est une des caractéristiques de ce type de personnalités : elles ne peuvent que rejouer leur scénario encore et encore, bien qu’il génère des résultats apparemment contre-productifs. En réalité, il permet autre chose pour elles, invisible pour les autres : focaliser l’attention sur elles, ou au contraire les exclure, donner à croire qu’elles sont inadaptées, incompétentes, victimes ou bourreaux, etc. Autant de conséquences qui nourrissent leur vision déformée des choses et viennent leur confirmer leur scénario.

    Mais ne cataloguons pas trop vite les personnes avec qui l’on vit des tensions au travail… comme « toxiques », « perverses », ou « manipulatrices » ! Ces dénominations fleurissent en entreprise, parfois à mauvais escient. Commençons par prêter attention aux besoins réels et authentiques des parties prenantes car, bien souvent, une écoute sincère et une attention réelle à leurs besoins suffisent à faire redescendre la pression et renouer avec l’harmonie au travail.

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