Syndrome de l’imposteur : un phénomène qui prend de l'ampleur

Une femme à son bureau travaillant - Syndrome de l'imposteur - Pearson TalentLens

Près de 70 % de la population a déjà douté de la légitimité de sa situation professionnelle et de ses réussites, selon une étude du Journal of Behavioral Science. Le syndrome de l’imposteur prend en effet de l’ampleur au même titre que les bore et burnout. Filip de Fruyt, professeur à l'Université de Gand (Belgique) et co-auteur des solutions PfPI et TD-12, explique ce phénomène.

 

Définition et origines du syndrome de l’imposteur

Qu’est-ce que le syndrome de l’imposteur ?

Dans la période actuelle, les employés connaissent des circonstances difficiles sur leur lieu de travail, ce qui se traduit par exemple par un nombre croissant de bore- et burnouts, et l’on observe, dans le même temps, une attention accrue pour le bien-être au travail.

Un phénomène auquel l’on accorde un intérêt croissant dans le champ de la santé mentale au travail est le "syndrome de l'imposteur", un terme décrivant la crainte d'une personne d'être “démasquée” comme étant incompétente pour réaliser le travail, les tâches qui correspondent à ses missions et à son poste, bien qu'elle ait les qualifications pour le faire en termes de diplôme ou de compétences requises et d'expérience passée. Les personnes souffrant du sentiment d'imposture sont convaincues que les autres surestiment leurs capacités, finiront par découvrir qu'elles ne sont pas vraiment efficaces et seront identifiées au travail comme des "imposteurs". De nombreuses personnes qui éprouvent des sentiments d'imposteur sont en fait décrites comme des personnes très performantes.

Les discussions sur ce thème sont alimentées par des exemples de professionnels décrivant et partageant leurs angoisses dans les médias. Par exemple des chirurgiens qui ressentent une forte insécurité durant une opération, des artistes (acteurs, chanteurs…) qui “bloquent” tout à coup lors d’un spectacle et pensent que le public va percevoir qu’ils sont des imposteurs, des enseignants qui se mettent à pleurer devant leur classe, parce qu'ils craignent que les étudiants remettent en question leur compétence sur le sujet enseigné.

Les origines du phénomène

Un groupe de recherche de l'Université de Gand (Vergauwe, Wille, Feys, De Fruyt et Anseel) a examiné le phénomène de l'imposteur sur un groupe d'employés de différents secteurs, cherchant à savoir (a) si les ressentis (croyances et vécu) constitutifs du syndrome d'imposteur sont liés à la personnalité, (b) comment ils affectent la satisfaction au travail, le comportement de citoyenneté organisationnel, l'engagement de continuité (continuance engagement) au travail, et (c) si l'impact de ce type de ressentis peut être atténué par le soutien social sur le lieu de travail.

Un syndrome lié à la personnalité ?

Une première question qui vient à l'esprit est la suivante : "Comment bien comprendre le phénomène de l'imposteur ? Les recherches de cette équipe ont montré que 43 % de la variance du syndrome de l'imposteur pouvait être comprise en termes des cinq grands domaines de la personnalité (Big Five) : la Stabilité Emotionnelle et le caractère Consciencieux s’avérant les facteurs explicatifs de ce syndrome (43 % de “superposition” entre ces deux champs).

Cette équipe a également examiné les ressentis constitutifs du syndrome d'imposteur dans une perspective plus fine (niveau des traits constitutifs des 5 domaines de personnalité), montrant que le sentiment d’auto-efficacité et le perfectionnisme dysfonctionnel capturaient 59% de la variance (59% de “superposition” entre ces deux champs).

Quelle incidence sur la satisfaction au travail ?

Les ressentis du syndrome d'imposteur sont liés à une baisse de la satisfaction au travail et du comportement de citoyenneté organisationnelle, ainsi qu'à un engagement de continuité (continuance engagement) plus élevé : les personnes relevant du syndrome d’imposteur ont le sentiment que quitter l'organisation auraient pour elles des coûts très élevés, parce qu’elles craignent d'avoir des difficultés à trouver des emplois aussi bien rémunérés. Cependant, le soutien social s’avère réduire l'impact négatif des sentiments d'imposteur sur la satisfaction au travail et le comportement de citoyenneté organisationnelle.

Conformément à cette approche en termes de trait de caractère des ressentis du syndrome d'imposteur, la recherche contemporaine considère le vécu des sentiments d'imposteur plutôt en termes de continuum sur lequel les individus ressentent plus ou moins ces sentiments (et non pas en termes de catégories binaires : syndrome / pas de syndrome), en réaction à des facteurs environnementaux.

Dans cette perspective, il n'est donc pas pertinent de se demander combien de personnes peuvent être classées comme souffrant de ce syndrome, car on ne peut pas définir un seuil précis. Ce qui s'avère dysfonctionnel pour quelqu'un peut être vécu différemment par quelqu'un d'autre. Mais étant donné que les personnes ayant obtenu les scores extrêmes sur un continuum d’un échantillon de référence représentatif peuvent généralement éprouver de la souffrance, les taux de prévalence peuvent être estimés à environ 20 % de la population active présentant un risque.

Est-il favorisé par le climat de travail actuel ?

L'importance accrue et l’expression de ressentis (croyances et sentiments) relevant du syndrome de l’imposteur doivent être perçues par rapport aux défis actuels du marché du travail, à l'évolution des mentalités et à l'attention accrue portée à la santé mentale sur le lieu de travail.Dans le même temps, l'influence de la psychologie positive sur le lieu de travail s'est renforcée, introduisant un état d'esprit "yes-you-can" chez les candidats et les employés à une époque où l'excellence et le dépassement de soi sont devenus des valeurs et des objectifs établis et adoptés par beaucoup. De telles évolutions peuvent être une arme à double tranchant pour certains, en particulier pour ceux qui se sentent moins confiants et moins efficaces et qui, en même temps, adoptent une orientation vers l'excellence.

 

Un accompagnement dédié pour y faire face

Apporter du soutien social

Que peut-on faire ? Les recherches menées par l'équipe de Gand ont montré que le soutien social peut atténuer en partie les effets négatifs du sentiment d'être un imposteur, mais qu'il ne les atténuera pas totalement. Dans cette perspective, il est nécessaire de promouvoir une approche plus terre à terre et de faire face à la réalité telle qu'elle est, où souvent, une certaine forme d'insécurité et de complexité fait partie du travail.

Ce n'est que lorsque l'insécurité affecte les performances ou submerge les personnes qu'il y a un problème majeur. En même temps, nous avons tous vu les dégâts et les problèmes au niveau économique et politique associés aux personnes trop confiantes, qui surestiment leurs capacités, s’expriment par des affirmations fortes et font des comportements à risque.

Permettre une meilleure connaissance de soi et des autres

Une connaissance juste et précise de soi et des autres sera un autre élément important de la solution, et cela nécessitera une évaluation des atouts et des pistes de développement des employés, ainsi que de leurs traits de personnalité.

L'Inventaire de la personnalité pour les professionnels (PfPI, Rolland & De Fruyt, 2009, 2022) et l’inventaire de Tendances Dysfonctionnelles-12 (TD-12 ; Rolland et Pichot, 2007) fournissent un ensemble d’informations nécessaires pour discerner d’éventuelles tendances potentielles au syndrome de l’imposteur, dans les évaluations mises en œuvre dans le cadre de la sélection et également de développement personnel pour savoir comment y faire face de manière adéquate en tant que personne.